L’important, c’est de se rendre sain et sauf
Par Pierre Bouchard, INDICO Communication
Chaque jour, les policiers et les policières patrouillent dans les rues et les routes au volant de leur véhicule. En quelques instants, ils peuvent passer de la simple patrouille à la réponse à un appel d’urgence. Quelles que soient les conditions auxquelles les policiers et les policières sont soumis pendant la conduite, ils doivent faire preuve de jugement, protéger les citoyens et les biens publics, et se protéger eux aussi!
Dans son mot d’introduction, Michel Pilon, expert-conseil en sécurité routière à l’École nationale de police de Nicolet (ENPQ) soulignait que l’important lors d’un appel – que ce soit lors d’une situation d’urgence ou non - n’est pas de se rendre sur les lieux le plus rapidement possible. L’important, c’est d’arriver sur les lieux sain et sauf.
C’est donc à une journée sur la conduite d’un véhicule de police dans une culture de sécurité que prenaient part environ 160 personnes, le 18 juin dernier. Au menu : la nouvelle pratique policière et les mesures de sécurité à prendre au volant en se rendant sur les lieux d’un appel; la gestion du stress et l’impact de la fatigue sur la conduite automobile; le corridor de sécurité « le triangle de survie », présenté par la Sûreté du Québec, les programmes de formation sur la conduite automobile offerts par différents corps policiers et par l’ENPQ. Bref, la journée était chargée.
Rappel
Avant de dresser un compte-rendu des présentations, faisons une mise en contexte sur la conduite d’un véhicule de police.
Le dossier « conduite d’un véhicule en situation d’urgence » est une priorité du groupe de liaison Police de l’APSAM depuis plusieurs années. Un comité technique a été formé en 2013, comme en font foi les procès-verbaux des réunions.
Le décès de Mélanie Roy, du Service de police de la Ville de Lévis – et les rapports du coroner et de la CSST — ne sont pas étrangers au choix de cette priorité par le groupe de liaison.
Rappelons les recommandations du coroner :
- Élaborer et uniformiser la conduite à haute vitesse et en prescrire l’enseignement pour les nouveaux policiers.
- Envisager une formation continue annuelle en conduite d’urgence à tous les corps de police.
De son côté, la CSST :
- Exigeait un plan d’encadrement du service de police, afin d’appliquer la conduite en situation d’urgence lors de l’embauche de nouveaux policiers.
- Informait le ministère de la Sécurité publique afin que des mesures soient prises pour que les policiers exécutent leur travail d’une façon sécuritaire lors de la conduite d’urgence.
- Transmettait à l’École nationale de police du Québec son rapport en soulignant l’importance d’avoir une formation adéquate des aspirants policiers sur la conduite en situation d’urgence.
La nouvelle pratique policière
Pour commencer la journée, les participants ont pris connaissance de la nouvelle pratique policière intitulée « Conduite d’un véhicule de police en déplacement d’urgence », préparée par le ministère de la Sécurité publique. François Gilbert, conseiller expert en sécurité routière et chef d’équipe à la direction de la prévention et de l’organisation policière du ministère, en a présenté les grandes lignes.
La nouvelle pratique commence par définir les termes, notamment la conduite en déplacement d’urgence. Elle propose des principes d’orientation où la notion de sécurité est omniprésente. On y apprend que la sécurité des policiers, celle des citoyens et la protection des biens publics, est la première responsabilité du policier.
La pratique passe ensuite en revue les principales opérations (actionner les gyrophares, la sirène, etc.) liées à la conduite en situation d’urgence.
Il se dégage de cette pratique que le policier doit faire preuve de discernement et savoir tenir compte de l’environnement, soit la nature et la gravité de l’événement, la densité de circulation, la visibilité, etc. L’analyse de l’environnement et la progression de l’événement doivent guider ses décisions.
Cette nouvelle pratique policière semble témoigner d’une volonté de définir, d’encadrer et d’uniformiser les pratiques policières. C’est une forme de « professionnalisation » de la pratique policière et c’est fort bien. Par contre, comme l’ont souligné quelques participants, la nouvelle pratique ajouterait encore plus de responsabilités aux policiers et policières. Quelles sont les responsabilités faites aux organisations policières? Les organisations policières offriront-elles de la formation continue et des mises à jour sur les comportements et les habiletés de conduite en situation d’urgence? Voilà certaines des questions qui étaient posées.
Gestion du stress et conduite automobile
La conduite en situation d’urgence impose un stress considérable aux policiers et aux policières. Comment font-ils pour gérer tout ce qui se passe lors de la conduite? Comment arrivent-ils à composer avec le stress, alors qu’ils ont une foule de décisions à prendre pendant la conduite? C’est à ces questions et bien d’autres encore qu’a tenté de répondre Jacques Bergeron, professeur de psychologie et directeur du Laboratoire de simulation de conduite, de l’Université de Montréal.
Le professeur Bergeron a rappelé qu’au volant d’un véhicule de police, les policiers et les policières sont soumis à des exigences particulières :
- Conduire à grande vitesse lors de demandes d’interventions.
- Respecter le Code de la sécurité routière.
- Porter attention aux communications radio
- Prendre des décisions très rapidement.
Un conducteur moyen possède-t-il toutes les qualités pour conduire en situation d’urgence?
Lors d’une étude statistique réalisée pour un corps de police, le professeur Bergeron a découvert que 16 % des accidents étaient survenus lors d’appels d’urgence et 10 % lors de poursuites policières. Ces accidents impliquent principalement de jeunes policiers (moins de 5 ans d’expérience). Une conclusion semble s’imposer d’elle-même : il serait important d’offrir de la formation aux recrues.
Le professeur Bergeron a aussi abordé les aspects relatifs aux facteurs humains, présents dans la majorité des accidents. Ses recherches et analyses l’amènent à recommander de porter une attention particulière aux recrues, à offrir une formation de pointe sur la conduite en situation d’urgence et à faire des mises à jour fréquentes des habiletés et des aptitudes à la conduite.
En fin de présentation, il a suggéré plusieurs pistes d’intervention, dont des formations pratiques et poussées dès le cégep, puis à l’École nationale de police.
Fatigue des policiers et habiletés de conduite
Du stress, on est passé à la fatigue et à ses impacts sur la conduite automobile. La fatigue a un impact sur les habiletés mentales et psychologiques pendant la conduite. Les performances sont amoindries. Le nombre d’erreurs augmente. La prise de risque et la façon de conduire changent. Pour faire image, sous l’effet de la fatigue, les policiers et les policières au volant auraient « la mèche courte ». C’est Diane B. Boivin qui l’affirme. Diane B. Boivin est une spécialiste reconnue mondialement. Son domaine d’expertise : les rythmes circadiens, soit les processus biologiques qui ont une oscillation d’environ 24 heures.
Selon Diane B. Boivin, un être humain normal a besoin de sept à neuf heures de sommeil par jour. Or, de nombreux policiers et policières ne dormiraient pas ces heures, pour toutes sortes de raisons. Ils seraient en déficit de sommeil. Comment, alors, gérer la fatigue? Diane B. Boivin propose plusieurs façons de gérer la fatigue, notamment la prise de pauses, des siestes, faire des exercices, consommer des produits contenant de la caféine, adapter les horaires de travail.
Elle a ensuite parlé du Système de gestion des risques reliés à la fatigue (SGRF), un ambitieux projet de recherche qui a reçu le feu vert de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST).
Le projet consiste à :
- Créer un environnement de travail plus sécuritaire pour les divers intervenants en réduisant la fatigue au travail.
- Créer un environnement de travail qui encourage les discussions sur la fatigue et reconnaît celle-ci comme un facteur de risque en terme de sécurité.
Un SGRF gère plus que la fatigue. Son but est de minimiser les risques associés à la fatigue par une approche systématisée sur plusieurs niveaux. Il reconnaît les différents facteurs qui contribuent à la fatigue et le fait qu’une approche basée sur la réglementation des heures de travail et du temps au travail est insuffisante. Il en découle une approche systématique pour gérer les risques individuels et organisationnels découlant de la fatigue. Nul doute que les résultats de cette étude seront très attendus.
L’aménagement des véhicules de patrouille sous la loupe de l’ergonomie
La présentation suivante a porté sur le véhicule de patrouille et son aménagement, qui n’est pas sans présenter ses particularités et proposer des défis aux ergonomes. C’est que les organisations policières cherchent à améliorer leur efficacité, notamment en convertissant les véhicules de patrouille en de véritables bureaux mobiles. En effet, dans un contexte d’informatisation des véhicules et de communications par Internet sans fil, on demande de plus en plus aux patrouilleurs de rédiger différents rapports dans le véhicule et d’alimenter en temps réel différentes bases de données, par exemple le Centre de renseignements policiers du Québec, CRPQ. Conséquemment, les équipements sont plus nombreux et plus avancés que jamais sur le plan technologique, alors que les véhicules conçus pour la patrouille sont peu nombreux et la tendance n’est pas à l’augmentation de l’espace dans les habitacles.
Comment ne pas encombrer l‘habitacle du véhicule et assurer la sécurité des passagers? Les associations paritaires pour la santé et la sécurité du travail des secteurs « affaires municipales » et « administration provinciale » ont produit le guide L’aménagement du véhicule de patrouille : sous la loupe de l’ergonomie. Ce guide propose les meilleures pratiques d’aménagement, car le travail de patrouilleur évolue sans cesse. Et les associations paritaires sont toujours là pour conseiller les organisations policières, ne l’oublions pas.
Le « triangle de survie » des policiers
Pour terminer la matinée, Roberto Reggi, instructeur-chef en conduite, et Sylvain Lamontagne, instructeur en conduite, tous deux de la Sûreté du Québec, ont présenté, vidéos à l’appui, la méthode sécuritaire pour réaliser une interception sur la route. Rappelons cette méthode :
- Choisir un endroit approprié.
- Créer un corridor de sécurité en immobilisant le véhicule de police de façon à ce qu’il serve de bouclier.
- Conserver une distance de 7 mètres entre les deux véhicules.
De retour du lunch, des groupes policiers ont présenté leur programme de formation sur la conduite d’un véhicule de police. Guillaume Hardy, policier et instructeur-examinateur au Service de police de la Ville de Québec, est venu démontrer, statistiques à l’appui, comment la formation et le perfectionnement ont contribué à réduire le nombre d’accidents (37 %) et le coût des réparations (48 %), depuis 2008.
Marc Verge, du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), a pour sa part annoncé que les accidents sont passés de 600 à moins de 200 depuis la création d’une équipe d’instructeurs en conduite automobile.
Yves Bissonnette, chargé disciplinaire en conduite à l’ÉNPQ, a terminé la journée en présentant les grandes lignes de la formation offerte par l’École aux futurs policiers. Il a aussi exposé deux nouvelles formations en perfectionnement professionnel qui seront offertes à compter de l’automne 2014 à l’ÉNPQ. Il s’agit des formations Techniques de conduite avancée et Conduite de véhicule de police – le moniteur.
Vers un encadrement plus serré
Au terme de ce séminaire, il était clair que la conduite d’un véhicule de police représente une partie non négligeable des activités des policiers et des policières. Les nombreuses présentations l’ont amplement démontré et il semblait se dégager un consensus sur la nécessité d’offrir une formation sur la conduite aux recrues, de même que des mises à jour régulières. Les mises à jour en conduite, les formations en perfectionnement et toutes les formations d’appoint en conduite seraient une bonne façon d’outiller les policiers et les policières à remplir leurs fonctions exigeantes. Un dossier que le groupe de liaison Police de l’APSAM suivra de près, sans aucun doute.