Dangereux les écocentres?
Il semble que ce soit le cas, tant pour les utilisateurs que pour les travailleurs. Au Canada, aux États-Unis et en France, le nombre d’accidents impliquant des citoyens et des travailleurs est suffisant pour que l’on s’arrête aux risques présents dans les écocentres. Et les conséquences de ces accidents, certains graves et mêmes mortels1, doivent inciter les administrations municipales à agir, dès maintenant. Même les firmes de génie-conseil qui ont dessiné les plans des écocentres sont montrées du doigt. L’une d’elles a été condamnée par un tribunal.
La Ville de Sherbrooke a décidé d’agir : elle a fait installer des garde-corps innovateurs à ses deux écocentres. Parcours d’une démarche paritaire mobilisatrice.
1Un Canadien de Colombie-Britannique a été amputé sous le genou à la suite d’une fracture grave résultant d’une chute dans un conteneur. Un résident du Maine est mort après avoir fait une chute dans un conteneur vide.
Un travailleur chute dans un conteneur en y poussant un électroménager. Des mesures sont mises en place pour réduire le risque. Malgré ces mesures, deux mois plus tard, un citoyen fait une chute sur la base bétonnée d’un conteneur à l’écocentre Michel-Ledoux. Heureusement, les blessures sont mineures dans les deux cas. Denis Robert, chef de section par intérim, Gestion des matières résiduelles, et Marjolaine Bélanger, chef d’équipe, forment un comité de travail composé des travailleurs concernés afin de mettre en place les mesures appropriées pour réduire les risques. « On a peint des lignes hachurées en jaune sur le sol, devant les conteneurs », expliquent-ils. « Les lignes sont censées indiquer la limite de recul pour les véhicules, mais, dans la pratique, bon nombre d’utilisateurs reculent leur véhicule jusqu’à ce que les roues atteignent le bord des conteneurs. » Après l’intégration de ces nouvelles mesures, les travailleurs et les gestionnaires analysent les risques aux écocentres avec l’aide d’un conseiller en santé et sécurité au travail. Au terme de l’analyse, ils concluent que les mesures actuelles ne permettent pas de maîtriser suffisamment le risque de chute dans les conteneurs. Ils procèdent alors à l’essai de barrières en tous genres. Certaines sont fixes, d’autres coulissantes ; d’autres enfin sont munies d’une porte en accordéon ou sur charnières.
Un autre accident survient à un endroit où aucune barrière n’était mise à l’essai. Encore une fois, c’est un résident qui en est la victime. Cette fois, la chute entraîne des blessures sérieuses. Le lendemain de cet événement, Christine Fliesen, chef de Division de l’environnement du Service des infrastructures urbaines et de l’environnement, décide de réunir rapidement les personnes clés de l’organisation. En effet, connaissant l’achalandage sans cesse à la hausse des écocentres, les risques potentiels de blessure allaient en augmentant. Outre les employés de la Division concernée, le Service des ressources humaines et le Service des affaires juridiques participent à la réunion de démarrage afin de cerner les problématiques. Ils en viennent à la conclusion qu’il faut resserrer encore plus les règles de sécurité et sensibiliser les employés et les utilisateurs aux consignes de sécurité. « Nous ne pouvions plus tolérer cette situation », déclare Mathieu Champoux, ingénieur et conseiller en santé et sécurité du travail à la Ville. « Plusieurs personnes ont participé à la démarche paritaire visant à documenter le problème et trouver des solutions. Le délégué syndical, membre du Comité de santé et de sécurité, a pris part aux travaux, les travailleurs et les gestionnaires aussi, » ajoute M. Champoux. La démarche a permis de faire une revue des accidents survenus ailleurs et des solutions mises de l’avant dans des sites similaires. Le Service des affaires juridiques a pour sa part découvert la décision de la Cour de juridiction supérieure de la Colombie-Britannique qui a tenu comme responsables la Ville de Kamloops ainsi que la firme d’ingénieurs qui a conçu les installations. Rappelons qu’à Kamloops, un résident a subi une blessure grave à une jambe après avoir fait une chute dans un conteneur. Les membres du comité réalisent qu’au Québec, aucun écocentre ne semble disposer de mesures efficaces pour empêcher les chutes et assurer le déchargement convivial des matériaux.
Des ingénieurs-conseils à la rescousse
Comme les essais de garde-corps réalisés précédemment n’ont pas été concluants, toute l’équipe décide de s’adjoindre des ingénieurs-conseils afin d’assurer la conception de garde-corps permettant une utilisation efficace et sécuritaire. Le design des barrières, la hauteur totale et l’espace entre les barres horizontales doivent permettre le transfert des matières tout en jouant le rôle d’un garde-corps. À cette étape, les connaissances des travailleurs des écocentres sont mises à profit. Et pour cause! Ils ont remarqué que les utilisateurs se présentent aux écocentres avec des remorques de toutes les tailles et de toutes les configurations ; certaines sont équipées de bennes basculantes, alors que d’autres remorques sont le résultat d’un bricolage parfois créatif.
La solution
Les ingénieurs-conseils proposent des croquis et l’équipe participe à la sélection et au raffinement d’un prototype innovateur, rapidement mis à l’essai, qui permet même d’accommoder les bennes basculantes. On ajoute des butées au sol. Elles ont pour fonction d’empêcher les utilisateurs de heurter les barrières avec leur remorque et de s’approcher trop près des conteneurs. Elles sont plus efficaces que des lignes peintes sur le sol. Et finalement, on installe une chaîne au sommet des barrières. Elles servent à prévenir les chutes lorsqu’un résident doit monter dans sa remorque pour transférer les matières dans le conteneur.
Les consignes de sécurité sont toujours affichées, bien à la vue. En plus, la Ville a fait imprimer un dépliant qui contient tous les renseignements utiles, à commencer par les consignes de sécurité, bien évidemment.
Les barrières facilitent le travail des employés
Michel P. Bilodeau, représentant syndical, SCFP, section locale 2729, semble très satisfait des nouveaux garde-corps, particulièrement du fait que la partie qui s’ouvre comme une porte soit verrouillée et que seuls les travailleurs des écocentres puissent la déverrouiller pour assurer le déchargement des bennes basculantes. Le rapport entre les travailleurs et les utilisateurs est ainsi plus clair : ce sont les travailleurs qui guident les utilisateurs et qui voient au respect des consignes de sécurité. Ce sont les utilisateurs qui doivent s’adapter aux consignes de sécurité. Le travail des employés en est facilité.
Jusqu’à maintenant, les écocentres de Sherbrooke étaient souvent cités en exemple dans le secteur municipal. « Nous avons souvent eu la visite de collègues d’autres municipalités », rappelle Marjolaine Bélanger. Parions que les visites seront plus fréquentes, maintenant que Sherbrooke a fait installer des garde-corps innovateurs.
Il y a deux écocentres à Sherbrooke. L’année dernière, ils ont reçu 76 000 visites.
Autres municipalités ayant fait installer des garde-corps : Acton Vale et Saint-Hyacinthe
Références
L’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) précise qu’il est du devoir de l’employeur de « s’assurer que les établissements sur lesquels il a autorité sont équipés et aménagés de façon à assurer la protection des travailleurs ».
Le Règlement sur la santé et la sécurité du travail (RSST) impose la sécurisation des sites où les travailleurs peuvent chuter ou encore le port d’un harnais pour les travailleurs. Voir notamment les articles 9, 11 et 346.
L’article 4.2.6 de la norme ANSI Z245.42, actuellement en développement aux États-Unis, exige l’installation de mesures de protection comme les garde-corps pour prévenir les chutes de personnes dans les conteneurs.
Dans le document Alberta Transfer Station c, on précise (page 75) qu’une protection contre les chutes doit être présente pour empêcher la chute des personnes accédant aux conteneurs. Plus loin (page 77), on ajoute qu’une protection pour empêcher la chute du personnel et des usagers le long des conteneurs devrait être envisagée.
En Colombie-Britannique, le ministère de l’Environnement précise qu’il est important que des mesures de protection comme des garde-corps soient intégrées pour prévenir la chute des personnes dans les conteneurs (Guidelines for Establishing Transfer stations for Municipal Solid Waste).