Qualité de l’air et de l’eau des piscines municipales
Toute personne qui fréquente les piscines municipales a été frappée par l’odeur caractéristique présente à la réception, dans les vestiaires et sur la promenade. Les produits pour désinfecter l’eau des piscines, tels que le chlore et ses dérivés, réagissent dans l’eau avec les composés organiques azotés libérés par les baigneurs (sueur, urée, etc.) pour former des sous-produits. Parmi ceux-ci, il y a le chloroforme et les chloramines. Le chloroforme est classé comme agent cancérigène probable chez l’homme, mais il a été démontré que le risque de cancer pour les nageurs de compétition demeure très faible. De la famille des chloramines, ce sont les trichloramines qui causent le plus de désagréments.
On connaît très bien les effets sur les baigneurs des trichloramines dans l’eau et dans l’air des piscines publiques. Les baigneurs et nageurs de compétition sont aussi habitués aux irritations oculaires et cutanées ressenties après un séjour dans l’eau. Chez certains, les trichloramines peuvent provoquer des irritations des voies respiratoires et même, dans certains cas, des crises d’asthme.
Le Règlement sur la qualité de l'eau des piscines et autres bassins artificiels stipule que la concentration des chloramines dans l’eau doit être inférieure à 0,5 mg/l. Cette norme est-elle respectée dans toutes les piscines ? À Repentigny, on peinait à atteindre cette valeur; on enregistrait des taux de près de 0,9 mg/l. Plus maintenant. Revue d’une démarche paritaire à succès et d’une solution innovatrice.
Un problème commun
« Le problème de la qualité de l’air des piscines municipales est commun et connu depuis assez longtemps », affirme Amélie Trudel, conseillère à l’APSAM. « C’est une question fréquemment abordée par les membres du comité aquatique qui n’arrivent pas à mettre le doigt sur la cause exacte et, par conséquent, à trouver une solution. » Qui sont ces membres ? Ce comité est formé de l’Association des responsables aquatiques du Québec (ARAQ), la CSST, l’APSAM, la Société de sauvetage et la Croix-Rouge.
« À la piscine de Repentigny », explique Sylvie Desgagné, chef de la division aquatique, « nous vivions les mêmes problèmes de qualité de l’air. Lorsque la direction de la Ville a annoncé d’importants travaux de mise aux normes de la piscine, nous avons saisi cette occasion pour implanter une solution au problème de la qualité de l’air. »
Entrée en scène de l’APSAM
À la demande de la Ville de Repentigny, les conseillères de l’APSAM, Amélie Trudel et Élaine Guénette, ont suggéré de commencer par faire des recherches sur le sujet. Elles ont aussi proposé de suivre une démarche paritaire. « Les problèmes inhérents à la qualité de l’air », explique Élaine Guénette, « sont intimement liés à la qualité de l’eau. Il existe deux traitements pour limiter ces problèmes : le « stripping ou strippage » et les rayons ultraviolets. Mais comme l’efficacité de ces deux traitements pour l’eau des piscines n’avait pas encore été démontrée à ce moment, nous avons recommandé de consulter la littérature scientifique sur le sujet et de faire appel à des experts. »
Repentigny a rencontré Benoit Barbeau, professeur agrégé au département de génie civil de l’École polytechnique de Montréal. M. Barbeau est spécialisé en traitement des eaux, dont la chloration. La Ville a aussi analysé l’étude de Benoit Lévesque, professeur au département de médecine préventive de la faculté de médecine de l’Université Laval. Son étude, réalisée en 2006, a porté sur les effets des chloramines sur la santé des baigneurs et des travailleurs.
Yvon Brault et son collègue Stéphane Lafortune, techniciens en assainissement des eaux, ont joué un rôle très actif dans la recherche d’une solution efficace. Concernés au premier degré en raison de leurs fonctions, ils ont examiné la littérature et ont proposé d’expérimenter le « stripping », un procédé qui consiste à injecter de l’air dans l’eau.
Prenez une bouteille de boisson gazeuse. Agitez-la puis décapsulez-la. Vous entendrez le bruit caractéristique du gaz carbonique qui est expulsé dans l’air. Le « stripping », c’est un peu la même chose. C’est un procédé par lequel on injecte de l’air dans l’eau afin de créer un brassage qui provoque le dégazage des chloramines et chloroformes. Par conséquent, la concentration de ces sous-produits de la désinfection diminue dans l’eau. Quant aux gaz, plutôt que de se retrouver dans l’air de la piscine, ils sont évacués à l’extérieur à l’aide d’un ventilateur d’extraction.
Où a-ton installé le procédé de « stripping » ? Dans le bassin d’équilibre. L’eau est ensuite filtrée et chlorée avant de retourner dans la piscine.
La démarche suivie par la Ville de Repentigny a été exemplaire à plusieurs égards. Première étape : former un groupe de travail constitué d’employés de la piscine (ceux et celles qui ont une bonne connaissance des opérations et des problèmes) et d’experts invités; et consultation de la littérature scientifique. On a ainsi pu poser le problème clairement et mettre en commun des idées pour une solution au problème. La Ville a aussi invité les syndicats à faire partie du comité. Richard Aucoin et Pierre Brabant, responsables syndicaux, étaient principalement préoccupés par la santé et la sécurité des sauveteurs, moniteurs et professionnels cols bleus chargés de l’entretien du bassin de natation.
« Il était important pour la Ville », explique Sylvie Desgagné, « de tenir compte des points de vue et de l’expertise de notre personnel. Nous tenions aussi à prendre en considération les préoccupations de nos sauveteurs, moniteurs et employés de bureau qui sont exposés aux chloramines et qui en ressentent les effets. Bref, nous avions un comité d’experts fortement engagés dans la recherche d’une solution », conclut-elle.
La participation des travailleurs et des syndicats a aussi permis d’ajouter des équipements pour protéger les travailleurs. Yvon Brault : « nous avons ajouté un garde-corps au bassin d’équilibre et un socle pour la potence qui permet de faire des interventions plus sécuritaires dans l’espace clos que représente le bassin d’équilibre. Nous avons aussi prévu des procédures de cadenassage des équipements. »
Des résultats étonnants
Dès l’installation du procédé de « stripping », les résultats ont été ressentis. Ils ont même été surprenants à certains égards. Les mesures de la concentration des chloramines (chlore combiné) dans l’eau se situent maintenant aux environs de 0,3 mg/l, soit en deçà de la norme provinciale. Rappelons qu’avant ces travaux, le taux des chloramines mesurés dans l’eau à Repentigny se situait aux alentours de 0,9 mg/l.
Les sauveteurs et employés de la piscine ont noté une différence significative de la qualité de l’air à la piscine. Julie Racette, sauveteuse à la piscine de Repentigny, en témoigne : « l’odeur de chloramines est moins forte et on ressent moins de symptômes d’irritation des voies respiratoires. » C’est une bonne nouvelle parce que les problèmes ressentis auparavant – toux persistante, irritation de la peau, et des voies respiratoires, crises d’asthme parfois – étaient difficiles à relier aux conditions de travail. Les sauveteurs sont pour la plupart des étudiants qui travaillent comme sauveteurs à temps partiel. Ils quittent souvent leur emploi lorsqu’ils terminent leurs études. D’où un certain roulement dans le personnel qui fait que les problèmes de santé sont moins déclarés. Il reste néanmoins que l’amélioration de la qualité de l’air à la piscine représente une amélioration des conditions de travail pour les employés, peu importe qu’ils soient permanents ou temporaires. L’environnement désormais plus sain à la piscine de Repentigny pourrait avoir une incidence sur le recrutement. C’est ce qu’on verra.
Du côté des usagers de la piscine, les commentaires sont positifs. L’odeur de chloramines sur la promenade de la piscine a de beaucoup diminué.
Le « stripping » a aussi une retombée imprévue. Elle concerne les coûts de chauffage qui devraient diminuer puisqu’il n’est plus nécessaire d’ouvrir très grands les volets pour faire entrer de l’air frais. « Désormais, une ouverture minimale des volets suffit », explique Alain Galarneau, ing. et adjoint à la gestion des infrastructures. « Les travaux pour réaliser le « stripping » ont coûté environ 12 000 $. Nous allons tenter de mesurer les économies de chauffage que nous réaliserons. Nous pensons que ces économies permettront d’amortir le coût de ces modifications », ajoute-t-il.
La Ville de Repentigny fait figure de précurseur. Elle est la première au Québec à développer un procédé d’injection d’air (« stripping ») pour purifier l’environnement de sa piscine intérieure. Déjà, elle suscite la curiosité : plusieurs autres villes sont venues à Repentigny pour une visite d’information. L’installation du procédé de « stripping » à Repentigny a été suivie de près par l’ARAQ qui entend recommander que le « stripping » soit inclus dans les plans et devis des piscines qui seront construites ou remises à niveau. Il reste cependant une étape que la Ville de Repentigny aimerait franchir, mais la réalisation de cette étape n’est pas de son ressort. « Nous sommes persuadés d’avoir amélioré la qualité de l’air à notre piscine », affirme Sylvie Desgagné. « Nous le sentons, mais nous ne sommes pas en mesure de le mesurer1. Il faudrait peut-être lancer un projet de recherche sur ce sujet », conclut-elle.
Le vœu de Sylvie Desgagné sera exaucé. Amélie Trudel, conseillère à l’APSAM, confiait que l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) a accepté de financer une évaluation de l’exposition des travailleurs aux sous-produits de désinfection en piscine au Québec. L’étude sera pilotée par Robert Tardif de l’Université de Montréal. Les objectifs de cette étude, explique Élaine Guénette, « sont non seulement de démontrer l’exposition des travailleurs aux sous-produits de la désinfection (chloroforme et chloramines), mais aussi de mesurer l’efficacité des différents traitements de l’eau comme les rayons UV et le stripping sur la qualité de l’air dans les piscines. À noter qu’au Québec, il n’existe aucune norme concernant la concentration des chloramines dans l’air. Toutefois, sur la base des recommandations de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) en France, la valeur limite recommandée dans l’air est de 0,3 mg/m3, alors que la valeur d’inconfort stipulée est de 0,5 mg/m3. »
L’expérience de la piscine de la ville de Repentigny et l’étude de l’Université de Montréal suscitent beaucoup d’intérêt. Ceux-ci auront-ils des retombées sur l’ensemble du Québec? On peut le croire, car les résultats de l’étude de l’Université de Montréal, qui sera effectuée dans plusieurs piscines du Québec, seront exposés aux membres de l’Association des responsables aquatiques du Québec, l’Association québécoise du loisir municipal, la Société de sauvetage et la Croix-Rouge.
1L’APSAM a effectué des recherches et découvert un kit pour l’analyse des trichloramines dans l’air des piscines nouvellement vendu sur le marché.